Les textes importants de la mythologie japonaise

Amaterasu sort de la grotte où elle s’était cachée, par Shunsai Toshimasa (wikipedia)

 

Ça fait quelque temps déjà que je souhaitais aborder la question de la mythologie japonaise sur le blog, car c’est un sujet qui me passionne beaucoup… je pense qu’il est maintenant temps de franchir le cap.

Ce premier article est un peu spécial et sert d’introduction à la mythologie japonaise, pour les autres articles nous reviendrons dans un premier temps sur les mythes importants, puis dans un second temps sur différents kami (divinité shintô) et sanctuaires/lieux liés à ces différents mythes.

[Info : nous avons publié un ebook intitulé « Voyager sur les traces de la mythologie japonaise » permettant de découvrir 10 mythes importants et 33 lieux qui leur sont associés.]

Susanoo, le kami des tempêtes, combat le dragon Yamata no Orochi, par Toyohara Chikanobu (wikipedia)

 

La mythologie japonaise regroupe les mythes et légendes du pays, fortement liés au shintô 神道 (ou shintoïsme) : la religion indigène du pays. Le shintô est un ensemble de croyances locales rassemblées sous une même entité, afin de pouvoir différencier ces croyances de la nouvelle religion qui arrive au Japon au 6e siècle : le bouddhisme.

Le shintô accorde une grande place à la nature et aux ancêtres. On y vénère différentes divinités appelées kami 神, dont la plupart sont liées à la nature. Des personnages historiques peuvent également devenir des kami, c’est le cas par exemple de Tenjin (kami des études) qui est en fait Sugawara no Michizane, un érudit du 9e siècle. Il faut également savoir que tous les kami ne sont pas forcément bons (ni forcément mauvais) et il vaut mieux parfois les craindre…

Le shintô n’a pas de texte fondateur comme la Bible, le Coran ou la Torah. Néanmoins, il existe des écrits nous permettant de connaître comment furent créés le pays, les différentes divinités ou encore la lignée impériale.

Le premier empereur du Japon : l’empereur Jimmu, descendant d’Amaterasu, par Ginko Adachi (wikipedia)

 

Où trouve-t-on la mythologie japonaise ?

Les premiers écrits concernant la mythologie japonaise datent du 8e siècle. Ce sont des textes commandés par le pouvoir impérial dans le but d’avoir une trace écrite de l’histoire du pays, mais aussi d’asseoir la légitimité de l’empereur qui descend du kami le plus important du shintô : Amaterasu 天照, la déesse du soleil.

Les deux écrits les plus importants sont le Kojiki (712) et le Nihon Shoki (720) :

 

-Le Kojiki

Rédigé en 712, le Kojiki 古事記 est l’ouvrage japonais le plus ancien et le plus connu. Il est rédigé en man’yôgana (les caractères chinois sont utilisés pour leur phonétique et non pour leur signification). La rédaction s’est faite en deux étapes, tout d’abord l’empereur Temmu demanda à un certain Hieda no Are de mémoriser les traditions et mythes de l’époque afin de les compiler. Puis, comme l’empereur mourut l’impératrice Genmei reprit le projet et demanda alors à Ô no Yasumaro de retranscrire sur papier les propos mémorisés par Hieda.

Dans les écrits mythologiques le Japon ne porte pas encore son nom, il est appelé Ashihara no nakatsukuni 葦原中国 : le « pays du milieu des roselières ». Il est situé entre le monde des kami célestes appelé la Plaine céleste (Takamagahara 高天原) et le monde des morts (Yomi no Kuni 黄泉の国). Le pays du milieu est relié à la plaine céleste grâce au pont céleste (天浮橋 Ame no Ukihashi) et au royaume des morts grâce à une pente appelée Yomotsu Hirasaka 四泉比良坂.

l’Empereur Jimmu guidé par le corbeau Yatagarasu (wikipedia)

 

Le Kojiki est divisé en 3 parties :

La première partie est consacrée aux divinités de la création, à la naissance des principaux kami et à l’envoi sur terre de Ninigi (Ninigi-no-mikoto 瓊瓊杵尊), le petit-fils d’Amaterasu. La 2e partie est consacrée principalement à Jimmu, le premier empereur japonais (descendant de Ninigi) et à sa conquête du pays. Jimmu est couronné empereur en -660 près de l’actuelle Nara.

On y trouve aussi l’histoire des empereurs suivants, jusqu’au 15e. L’existence de tous ces empereurs n’est absolument pas avérée. Comme la création de la lignée impériale est censée remonter à -660, il est fort probable qu’ils aient été inventés pour couvrir la période allant de -660 à l’écriture du Kojiki (712). Enfin la dernière partie du Kojiki est consacrée aux empereurs suivants, du 16e empereur au 33e.

 

Une mythologie liée au contexte historique de l’époque :

À l’époque de la rédaction des textes, la population japonaise est répartie en différents clans. Le centre du pouvoir se situe dans le Yamato (préfecture actuelle de Nara) et c’est l’empereur qui est à sa tête. Mais avant de dominer les autres clans, les dirigeants du Yamato (princes, puis empereurs) étaient en rivalité avec ces différents clans, en particulier avec le clan Izumo (préfecture actuelle de Shimane). Il s’agissait d’un clan très puissant, qui dut s’incliner devant le pouvoir du Yamato à un moment donné. On ne connaît pas vraiment les détails malheureusement. Comme le clan Izumo et ses kami étaient très importants, le pouvoir impérial n’eut d’autre choix que de les inclure dans la mythologie japonaise. Par exemple, le kami fondateur du clan Izumo, Susanoo (kami des tempêtes), est le frère d’Amaterasu.

D’ailleurs, la mythologie japonaise nous apprend qu’Amaterasu et Susanoo étaient de grands rivaux. Si Amaterasu décida d’envoyer son petit-fils Ninigi sur terre pour y régner, c’est en partie parce que le descendant de Susanoo : Ôkuninushi 大国主, régnait sur le Japon et que ça ne lui plaisait pas. Ôkuninushi accepta d’abdiquer et de soutenir Ninigi. Ce geste est très important, car le fait que le chef du clan Izumo abdique face au descendant d’Amaterasu reflète sûrement la réalité historique et sert aussi à montrer la supériorité d’Amaterasu (kami de la famille impériale) sur le kami Susanoo (kami du clan Izumo).

Même si la valeur historique de la mythologie japonaise est bien évidemment discutable, on se rend quand même compte que les mythes sont basés sur la réalité politique de l’époque.

Extrait du Nihonshoki (wikipedia)

 

-Le Nihon Shoki

Le Nihon Shoki 日本書紀 fut rédigé en 720, soit peu de temps après le Kojiki. Il s’agit du second texte le plus important sur la mythologie japonaise. Le Nihon Shoki est principalement rédigé en chinois (certains poèmes sont en man’yôgana) comme le sont dorénavant tous les documents officiels. On sent que le Nihon Shoki est davantage destiné à renseigner le continent (Chine, Corée) sur l’histoire du Japon que le Kojiki. D’ailleurs, le Nihon Shoki insiste davantage sur l’histoire contemporaine, sur les échanges commerciaux avec le continent et traite de l’arrivée du bouddhisme. Il fait aussi partie de ce qu’on appelle les Rikkokushi 六国史, les « Six histoire nationales », six ouvrages qui compilent l’histoire du pays de ses origines jusqu’à 887.

Le Nihon Shoki est un projet initié par le prince Toneri et comporte 30 chapitres. Seuls les trois premiers chapitres sont consacrés à la mythologie japonaise. Les chapitres suivants sont quant à eux consacrés aux différents empereurs du Japon jusqu’à l’impératrice Jitô.

Même si les épisodes consacrés à la mythologie japonaise sont sensiblement les mêmes que ceux du Kojiki, on note quand même des différences entre les deux. Par exemple certains personnages qui sont cités dans le Kojiki ne le sont pas dans le Nihon Shoki. C’est le cas du kami du sanctuaire Suwa-taisha (Préfecture de Nagano), Suwa Myôjin. Dans le Kojiki il est décrit comme un des fils d’Ôkuninushi qui fut contraint à l’exil, mais on ne trouve aucune trace de lui dans le Nihonshoki… Un autre point intéressant du Nihon Shoki, c’est qu’il regroupe plusieurs versions de chaque mythe. Certaines versions sont là pour apporter des détails, alors que certaines apportent des changements plus ou moins importants à la version principale.

Sanctuaire Suwa-taisha

Le sanctuaire Suwa-taisha

 

Les autres textes

Le Kojiki et le Nihon Shoki sont les deux principaux ouvrages concernant la mythologie japonaise, mais ce ne sont pas les seules sources. Parmi ces autres sources, on peut citer :

 

Kogo Shûi

Le Kogo Shûi 古語拾遺, composé en 807 par Inbe no Hironari, est intéressant car il complète certains mythes japonais et en révèle de nouveaux. Le clan Inbe s’occupait, avec le clan Nakatomi, des rites shintô à la Cour impériale. Mais lorsque les Fujiwara, clan formé par un membre du clan Nakatomi, vont prendre le pouvoir le clan Inbe va être progressivement mis de côté. Le clan Inbe a donc décidé de rédiger le Kogo Shûi pour montrer son importance, notamment dans la mythologie japonaise.

Cet ouvrage est découpé en trois sections : une section sur Futodama, le kami du clan Inbe, une section sur la mythologie japonaise et une section où ils expriment leur mécontentement vis à vis des Nakatomi. Si les mythes sont en grande partie les mêmes que ceux du Kojiki et du Nihonshoki, il y a quand même des différences, ainsi que des mythes supplémentaires. Par exemple Fudodama, le kami du clan Inbe, est mentionné dans le Kojiki et le Nihon Shoki, mais pas autant. On apprend dans le Kogo Shûi, entre autres, qu’il est le fils de Takamimusubi et qu’il occupe une place importante parmi les kami qui ont fait sortir Amaterasu de sa grotte… alors que dans le Kojiki et le Nihonshoki c’est surtout Koyane, le kami du clan Nakatomi, qui a un rôle important. Même si là aussi on constate assez facilement l’intention politique derrière la rédaction du recueil, c’est un ouvrage très intéressant lorsqu’on s’intéresse à la mythologie japonaise.

 

Les Fudoki

Les Fudoki 風土記 sont des recueils commandés en 713 par l’impératrice Genmei. Il en existait un pour chaque province et ils contenaient des données sur la géographie, l’histoire ou encore les coutumes des provinces… Malheureusement il n’en reste que 5 (Bungo, Harima, Hizen, Hitachi et Izumo) et seulement celui d’Izumo est au complet. Les Fudoki contiennent des légendes plus locales, qui complètent souvent celles racontées dans le Kojiki et le Nihon Shoki.

Par exemple dans le Fudoki d’Izumo, on trouve le mythe du Kunibiki 国引き (« tirer les terres »). Ce mythe explique comment Yatsukamizu-omizunu, un kami local, positionné sur le Mont Daisen tira à l’aide d’une corde des terres afin d’agrandir la province d’Izumo.

 

Les Emaki

Les Emaki 絵巻 (ou Emakimono 絵巻物) sont des rouleaux illustrés (avec quelques textes) qui permettaient, entre autres, de découvrir l’histoire d’une divinité ou d’un sanctuaire/temple. Ils étaient souvent utilisés par des moines/prêtres pour promouvoir le culte d’un temple/sanctuaire auprès des empereurs et de la population japonaise.

Par exemple le Suwa Daimyôjin Ekotoba contient toutes les légendes liées au sanctuaire Suwa-taisha (Préfecture de Nagano), à ses matsuri (festival) et à son kami Suwa Myôjin. Ce dernier est évoqué très brièvement dans le Kojiki, donc pour en savoir plus sur lui et son importance dans la région de Suwa, c’est cet ouvrage qu’il faut consulter.

Les deux images ci-dessous sont extraites du Ishiyama-dera Engi Emaki. Ce rouleau illustré raconte l’histoire du temple Ishiyama-dera, situé dans la préfecture de Shiga. La scène que l’on trouve ci-dessous à droite est consacrée à l’écrivaine Murasaki Shikibu, qui s’est rendue au temple pour commencer la rédaction de son célèbre roman Le dit du Genji. La scène de gauche est quant à elle consacrée à l’auteure du Sarashina Nikki 更級日記 (Nikki = récit de voyage) Sugawara no Takasue no Musume, venue faire un pèlerinage au temple.

Emaki de Sugawara no Takasue no Musume au Ishiyama-dera (wikipedia) / Emaki de Murasaki Shikibu au Ishiyama-dera (wikipedia)

 

-L’influence du bouddhisme

L’arrivée du bouddhisme au Japon au 6e siècle n’a pas éclipsé le shintô, au contraire… Le bouddhisme et le shintô ont vraiment été très proches pendant de nombreuses années, jusqu’à la séparation forcée à la restauration de Meiji, fin 19e siècle.

Les deux religions étaient tellement proches, qu’on parle même de syncrétisme (fusion de doctrines très différentes). Selon la théorie du Honji Suijaku 本地垂迹, les divinités bouddhistes ont décidé d’apparaître au Japon sous les traits des divinités locales (kami) afin de convertir la population japonaise au bouddhisme. Les divinités bouddhistes sont des honji 本地 (« état originel ») et les kami sont des suijaku 垂迹 (« trace descendue »). Par exemple, le Bouddha Amida est le honji du kami Hachiman et le Bouddha Vairocana (大日如來 Dainichi Nyorai) est le honji d’Amaterasu. Il existe d’autres variantes, par exemple selon le Ryôbu shintô, les kami et les divinités bouddhistes forment en fait une seule entité.

Avec le syncrétisme bouddhisme/shintô, on trouvait dans de nombreux sanctuaires shintô des bâtisses bouddhistes et vice-versa. Par exemple, si vous connaissez le sanctuaire Tsurugaoka Hachiman-gû de Kamakura, sachez qu’à l’époque il y avait une jolie pagode (bouddhiste) dans son enceinte.

 

-Le folklore japonais

Même si le folklore japonais ne fait pas partie, à proprement parler, de la mythologie japonaise certaines créatures et légendes sont souvent liées aux kami. Le folklore japonais est très fourni et regorge de très nombreuses créatures, comme les fameux yôkai. Les histoires liées aux yôkai sont vraiment passionnantes, d’ailleurs si vous n’êtes pas allergique aux podcasts, je vous recommande les excellents podcasts de La librairie Yôkai.

 

 

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4 thoughts on “

Les textes importants de la mythologie japonaise

      • Bonsoir,
        Tout d’abord, merci pour cet article!
        Je me demandais quel(s) ouvrage (s) recommanderiez-vous pour découvrir le folklore japonais ?

        • Bonjour, merci beaucoup pour votre commentaire.
          Si ce sont les yôkai qui vous intéressent, il y a plusieurs ouvrages : le « dictionnaire des yokai » (Shigeru Mizuki) qui énumère et décrit de nombreux yôkai, « Esprits et créatures du Japon » (Benjamin Lacombe) qui raconte les légendes de certains yôkai ou encore « le musée des yôkai » (Yumoto Koichi) davantage tourné sur les objets d’art en rapport avec les yôkai. Je ne les ai pas lu personnellement, mais je pense me procurer bientôt les deux derniers.
          Concernant les histoires et légendes, il y a un livre qui vient tout juste de sortir en février : « fables et légendes japonaises » (Ippei Otsuka). Ce livre rassemble des légendes liées au folklore, comme celles de momotaro ou kintaro et a l’air plutôt intéressant.

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