Le culte de Suwa Myôjin et des Mishaguji

Le sanctuaire Suwa-taisha Akimiya

 

En faisant des recherches sur le kami Suwa Myôjin 諏訪明神, la divinité shintô du sanctuaire Suwa-taisha (préfecture de Nagano), j’ai découvert l’existence d’un culte ancien que je ne connaissais pas, celui des Mishaguji ミシャグジ.

Le culte de Suwa Myôjin a longtemps cohabité avec celui des Mishaguji et leur histoire est tellement passionnante que je souhaitais la partager avec vous.

Sanctuaire Suwa-taisha

Sanctuaire Suwa-taisha

 

Qui est Suwa Myôjin ? 

Suwa Myôjin apparaît dans la mythologie japonaise lors de l’épisode de la descente de Ninigi, le petit-fils de la divinité du soleil Amaterasu. Cette dernière décida en effet d’envoyer son propre descendant pour régner sur le Japon, à la place d’Ôkuninushi le descendant de son frère Susanoo (plus d’informations sur ce mythe). Pour faire abdiquer Ôkuninushi, elle envoya au préalable deux kami : Futsunushi et Takemikazuchi. 

[Info : nous avons publié un ebook intitulé « Voyager sur les traces de la mythologie japonaise » permettant de découvrir 10 mythes importants et 33 lieux qui leur sont associés.]

Ôkuninushi, avant d’accepter ou non la domination de Ninigi, demanda l’avis de son fils Takeminakata (à ne pas confondre avec Takemikazuchi). Ce dernier voulut d’abord combattre Takemikazuchi, réputé pour sa grande force.

Le combat eut lieu mais tourna très vite en défaveur de Takeminakata, dont le bras fut broyé. Il implora le pardon de Takemikazuchi qui accepta et partit alors en exil à Suwa où il sera connu sous le nom de Suwa Myôjin.

Le lac Suwa et les Alpes japonaises

 

Le culte des Mishaguji

Pour connaître ce qui arrive à Takeminakata après son exil forcé et savoir comment il devient Suwa Myôjin, il faut consulter le Suwa Daimyojin Ekotoba, un ouvrage qui consigne l’histoire du sanctuaire Suwa-taisha et ses légendes.

Lorsque Takeminakata arriva dans la région de Suwa après sa défaite, il y avait déjà un kami local dans la région appelé Moriya. Les deux s’affrontèrent et Takeminakata remporta le combat. Il devient alors Suwa Myôjin, le fondateur du clan Suwa qui sera très important dans la région…

Ce qui est intéressant dans ce mythe, c’est que derrière la mythologie se cachent des faits historiques. À l’époque Yayoi (d’environ -800/-400 av. J-.C. à 250 /300) les croyances des habitants de la région de Suwa s’appuyaient sur les Mishaguji, des objets de la nature (rocher, arbre…) qui permettaient d’accueillir des esprits lors de rituels. Ces rituels, liés à l’agriculture, étaient dans un premier temps effectués par les chefs des différents villages avant de devenir le domaine exclusif du prêtre en chef de la famille Moriya qui fut le seul capable d’invoquer les Mishaguji. Moriya, comme le nom du kami qu’affronta Takeminakata en arrivant dans la région…

Sanctuaire Suwa-taisha

Sanctuaire Suwa-taisha Harumiya

 

La mythologie japonaise compilée dans le Kojiki et le Nihon Shoki est l’œuvre du pouvoir impérial, qui se forma dans la région du Yamato, pour asseoir sa domination sur les autres régions japonaises. Ce n’est donc pas anodin que les mythes racontent la victoire de Takeminakata (et les croyances du pouvoir Yamato) sur le kami local Moriya (la croyance locale).

Ce qui est également intéressant, c’est de constater que les croyances liées aux Mishaguji étaient si fortes qu’elles n’ont pas disparu avec l’arrivée du kami Suwa Myôjin dans la région. Ainsi, le sanctuaire Suwa-taisha, érigé pour vénérer Suwa Myôjin, avait pour particularité d’avoir deux prêtres : le Ôhori, qui était choisi parmi le clan Suwa, fondé par Takeminakata (Suwa Myôjin) et le Jinchôkan, qui faisait partie du clan Moriya. Historiquement, le clan Suwa fut en réalité formé par un émissaire envoyé par le pouvoir impérial pour diriger la région de Shinano (ancien nom de la préfecture de Nagano).

Ce système permet de garder les anciennes croyances locales, puisque le prêtre de la famille Moriya est le seul à pouvoir invoquer les Mishaguji, très importants pour l’agriculture et les récoltes. On peut voir dans l’arrivée de Takeminakata dans la région de Suwa, une illustration de la domination impériale sur la région de Suwa. Le kami Moriya représente le culte local des Mishaguji et le clan fondé par Suwa Myôjin représente le pouvoir impérial venu prendre le contrôle de la région.

L’eau du Temizuya (pour se purifier avant d’entrer dans un lieu sacré) du Akimiya provient des sources chaudes

 

Le culte de Suwa Myôjin

Suwa Myôjin était dans un premier temps considéré comme le kami du vent, de l’eau et de l’agriculture. Il est souvent représenté sous une forme de dragon/serpent, associé à la pluie et au vent. Il était d’ailleurs coutume dans la région d’utiliser des épées en forme de serpent, appelées Nagikama, placées sur le toit des maisons pour se protéger des typhons.

Ensuite, Suwa Myôjin fut également associé à la chasse et la guerre. D’ailleurs les talismans distribués par les prêtres du sanctuaire Suwa-taisha étaient très populaires, car ils autorisaient le fait de chasser et de manger de la viande, ce qui était interdit par le bouddhisme. Le sanctuaire Suwa-taisha était le seul à pouvoir autoriser la chasse dans tout le Japon.

En tant que kami de la guerre, Suwa Myôjin fut vénéré par plusieurs clans et guerriers comme les clans Hôjô et Takeda.

Il existe de nombreuses légendes sur Suwa Myôjin, en voici deux que j’aime beaucoup. En hiver les craquelures sur le lac Suwa gelé sont interprétées comme les traces laissées par Suwa Myôjin, en forme de dragon/serpent, lorsqu’il parcourt le lac pour se rendre au sanctuaire dédié à sa femme.

J’aime aussi beaucoup la légende selon laquelle Suwa Myôjin serait venu au sanctuaire Izumo-taisha sous sa forme de dragon/serpent pour le rassemblement annuel des kami (kannazuki 神無月), mais sa tête était si énorme que tous les kami présents eurent peur et lui demandèrent de ne plus venir !

Torii du sanctuaire Suwa-taisha, Harumiya 

 

Certaines légendes autour de Suwa Myôjin prédominaient en fonction de la situation politique du pays. Par exemple à l’époque de Kamakura (1185-1333), le clan Suwa, qui est donc le clan descendant de Takeminakata, soutenait le clan Hôjô qui fut vaincu. Pour éviter que Suwa Myôjin ne soit associé à Takeminakata et au clan Suwa, il fut donc décidé de mettre en avant un autre mythe : celui de Kôga Saburô, un humain qui a bravé de lourds dangers pour retrouver sa femme et qui devient Suwa Myôjin…

L’influence de la politique et de l’histoire dans la transmission des mythes est vraiment un sujet fascinant.

Le lieu de culte de Suwa Myôjin est le sanctuaire Suwa-taisha. Il fut construit au 7e siècle et son enceinte est en fait divisée en quatre sanctuaires situés autour du lac Suwa. Les sanctuaires Maemiya et Honmiya sont dédiés à Suwa Myôjin et les sanctuaires Harumiya et Akimiya sont dédiés à Yasakatome l’épouse de Suwa Myôjin.

Voilà pour cette présentation du culte de Suwa Myôjin et des Mishaguji. J’ai essayé d’être clair, mais ce n’est pas toujours facile… n’hésitez pas à me dire si ça vous a intéressé.

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