Qui est Inari, le kami complexe du sanctuaire Fushimi Inari-taisha

Si Amaterasu, le kami (divinité shintô) du soleil et l’ancêtre de la famille impériale, est le kami le plus important de la mythologie japonaise, Inari est sans aucun doute le plus populaire auprès des Japonais.

Inari est célébré dans pas moins de 30.000 sanctuaires, car même quand il n’est pas le kami principal il y a souvent dans l’enceinte un sanctuaire miniature, appelé hokora 祠 (dédié aux kami populaires), qui lui est dédié (photo ci-dessous).

Si les kami ont tous plus ou moins évolué au cours de leur longue existence, Inari fait sans doute partie de ceux qui ont le plus de facettes différentes. Non seulement Inari est vénéré pour plusieurs raisons, mais en plus son culte a assimilé de nombreux kami, comme nous allons le voir…

Inari est à l’origine le kami des céréales et de la fertilité, mais progressivement d’autres domaines sont venus s’ajouter, pour coller avec l’évolution de la société japonaise. Par exemple Inari est aussi le kami de l’industrie et des affaires puisque ce sont des domaines liés à la fertilité (croissance). Certaines de ses attributions ont également disparu avec l’évolution de la société, par exemple Inari était le kami des forgerons, ce qui n’a plus vraiment lieu d’être de nos jours. Inari n’est pas seulement associé à l’idée de production, puisqu’il est aussi associé à la protection de nombreuses personnes, qui peuvent souvent se retrouver vulnérables (pompiers, prostituées, naissances…).

Comme dans les sanctuaires dédiés à Inari on trouve souvent des statues de kitsune 狐 (renards), beaucoup pensent qu’Inari est un renard, mais en réalité ce sont juste ses messagers. On se demande souvent si Inari est un kami mâle ou un kami femelle ? La réponse n’est pas si simple puisque les deux sont possibles. Inari est parfois représenté sous les traits d’une très jolie femme aux cheveux longs et parfois sous ceux d’un vieil homme barbu accompagné de deux renards…

Sur les statues que l’on trouve dans les sanctuaires, les kitsune sont représentés tenant plusieurs objets différents, souvent dans leur gueule. Il peut s’agir d’un épi de riz en rapport avec l’agriculture, d’un bijou appelé nyoi hôju 如意宝珠 (photo ci-dessous) qui permet d’exaucer des vœux, d’un parchemin car ce sont les messagers d’Inari ou encore d’une clé, en rapport avec la clé du grenier où est entreposé le riz.

Parfois les kitsune portent aussi une sorte de bavoir rouge appelé yodarekake 涎掛け, donné en signe de respect. Les kitsune sont l’élément principal indiquant la présence d’un sanctuaire dédié à Inari, mais il y a aussi d’autres éléments comme la couleur vermillon et la présence d’une allée de torii. On associe également à Inari, les inari-zushi 稲荷寿司, du riz entouré de tofu frit, qui serait son plat préféré…

Sanctuaire Fushimi Inari-jinja

Les trois principaux kami apparentés à Inari

À mon sens, la vraie complexité du kami Inari vient du fait que de nombreux kami lui sont apparentés. Même au sein du sanctuaire principal lui étant dédié, le Fushimi Inari-taisha, trois divinités principales sont vénérées et sont considérées comme étant Inari. Ces trois divinités, appelées les Inari Sanza 稲荷三座 sont Ukanomitama, Sadahiko et Ômiyanome.

Ukanomitama ウカノミタマ

Ukanomitama est décrite comme étant la déesse de la nourriture et de l’agriculture. Selon le Kojiki, elle est la fille de Susanoo 素戔嗚命, le kami des tempêtes, et de sa 2e épouse Kamu-Ôichihime 神大市比売 (fille d’Ôyamatsumi le kami des montagnes), alors que selon le Nihonshoki elle fut enfantée par Izanagi et Izanami lorsqu’ils eurent faim.

Au Japon, il existe plusieurs kami liés à la nourriture ou aux récoltes, et de manière générale ces kami sont assimilés ou liés à Inari. Par exemple Ukemochi, le premier kami de la nourriture, assassiné par Tsukuyomi (kami associé à la lune) à cause de la façon dont elle produisait la nourriture (elle la vomissait de ses différents orifices…), fut considérée comme l’épouse d’Inari ou remplacée par Inari après sa mort. Toyouke, le kami vénéré au sanctuaire extérieur du sanctuaire Ise-jingu (sanctuaire principal d’Amaterasu), en tant que déesse de la nourriture, du logement et des habits (les trois principales choses nécessaires à la vie quotidienne), est aussi souvent assimilée à Inari. On peut enfin citer Ugajin 宇賀神, le kami de la moisson et de la fertilité, représenté avec un corps de serpent enroulé sur lui-même.

Sanctuaire Fushimi Inari-jinja

Sadahiko 佐田彦大神 (ou Satahiko)

Il est difficile de savoir qui est vraiment Sadahiko avec certitude, mais il semblerait qu’il s’agisse en fait de Sarutahiko.

Si vous avez suivi mes articles sur la mythologie, vous savez que Sarutahiko est le gardien du pont céleste, reliant le royaume céleste de Takamagahara au royaume terrestre d’Ashihara no Nakatsukuni (le Japon). Lors de la descente de Ninigi, le petit-fils d’Amaterasu, sur terre il lui servit de guide. Il rencontra également le kami Uzume, la déesse de la gaieté, qui accompagnait Ninigi et qui deviendra sa femme. Comme Sarutahiko servit de guide, il est souvent associé à la sécurité routière.

Ômiyanome 大宮能売神

Ômiyanome est une divinité liée au kami du soleil Amaterasu. Elle n’est pas mentionnée dans le Kojiki et le Nihonshoki, mais elle apparaît dans le Kogo Shûi, un autre recueil important de mythologie. Ômiyanome est la fille du kami Futodama et réside au royaume céleste de Takamagahara où elle assiste Amaterasu (dirigeante du royaume) en tant que suivante. Au sein du sanctuaire Fushimi Inari-taisha, Ômiyanome est également considérée comme étant la suivante d’Ukanomitama, la déesse de la nourriture.

Si Sadahiko se révèle être en réalité Sarutahiko, il semblerait qu’Ômiyanome soit également en réalité Uzume, le kami de la gaieté et l’épouse de Sarutahiko. Uzume est une divinité que j’aime beaucoup.

Ukanomitama, Sadahiko et Ômiyanome sont les trois principales divinités assimilées à Inari, vénérées au sanctuaire Fushimi Inari-taisha, mais il y en a d’autres. Souvent on ajoute deux autres kami à cette liste, Tanaka no Ôkami et Shi no Ôkami, mais j’y reviendrai un peu plus tard dans l’article. Aussi, dans l’enceinte du sanctuaire, on trouve plusieurs petits sanctuaires appelés hokora (photo ci-dessus) et chacun est dédié à une divinité associée à Inari. Par exemple, un de ces petits sanctuaires est dédié à Ômatsu Ôkami, vénéré par les personnes souffrant de problèmes d’alcoolisme.

Mandala de Dakini ten (wikipedia)

 

Dakini ten, l’équivalent bouddhiste d’Inari

Pendant de nombreux siècles (jusqu’à l’ère Meiji), le bouddhisme et le shintô ont cohabité sans aucun problème au Japon. Les deux croyances étaient tellement proches qu’on parle alors de syncrétisme (combinaison de doctrines à l’origine incompatibles), Shinbutsu shûgô 神仏習合. Les divinités bouddhistes avaient pour équivalent des kami shintô, car elles étaient venues au Japon sous l’apparence de kami locaux (Honji Suijaku 本地垂迹).

Par le biais de ce syncrétisme, la divinité bouddhiste Dakini, appelée Dakini-ten au Japon 荼枳尼天 fut associée à Inari. Dakini-ten étant représentée sous la forme d’une femme chevauchant un renard blanc, on comprend alors pourquoi elle fut associée au kami Inari. Il est assez difficile de décrire en quelques mots Dakini, car il y a beaucoup d’influences différentes… mais dans le bouddhisme (principalement en Inde), Dakini est en fait le nom donné à plusieurs déesses féroces dévorant la chair humaine… Cet aspect fut appliqué à Dakini-ten, mais il paraîtrait que Daikokuten, une des 7 divinités du bonheur au Japon, serait intervenu pour la guérir, du coup elle fut seulement autorisée à dévorer le cœur des personnes décédées…

Avec le syncrétisme, les kami avaient aussi pour but de protéger les temples dédiés aux divinités bouddhistes. C’est ainsi qu’Inari, vénéré au sanctuaire Fushimi Inari-taisha, est devenu le kami gardien du temple Tô-ji. Il paraîtrait même que le grand moine bouddhiste Kûkai (ou Kôbô Daishi), fondateur de l’école Shingon, soit venu lui-même demander à Inari d’accepter d’être le gardien du temple.

Sanctuaire Fushimi Inari-jinja

Le clan Hata et la fondation du sanctuaire Fushimi Inari-taisha

Le clan à l’origine du sanctuaire Fushimi Inari-taisha est le clan Hata (qui prendra plus tard le nom de clan Koremune). Le fondateur de ce clan, Yuzuki, est arrivé au Japon depuis la Corée avec 284 autres personnes. Yuzuki n’est pas n’importe qui, puisqu’il est censé descendre du premier empereur chinois de la dynastie Qin.

Le clan Hata est mentionné dans le Nihonshoki. Il s’est installé au pied du mont Inari dans la province de Yamashiro (sud de la préfecture de Kyôto) où sera construit en 711 le sanctuaire Fushimi Inari-taisha. À l’époque, chaque clan avait ce qu’on appelle une divinité tutélaire appelée Ujigami 氏神. Par exemple l’Ujigami de la famille impériale est Amaterasu, la déesse du soleil, et la plupart du temps les clans descendaient directement de leur Ujigami. L’Ujigami du clan Hata, vous l’aurez deviné, n’est autre qu’Inari. Ce qui est intéressant, c’est que déjà à l’époque il semblerait qu’Inari ait intégré à son culte deux kami locaux : Tanaka no Ôkami et Shi no Ôkami.

Avant leur installation dans la région, la population qui vivait ici vénérait un certain kami appelé Tanaka no Ôkami 田中大神. Ce kami associé à l’agriculture, fut du coup assimilé au culte d’Inari et fait partie des divinités du sanctuaire Fushimi Inari-taisha. Aussi, avant de fonder le sanctuaire Fushimi Inari-taisha, le clan Hata organisait des rituels conjointement avec des prêtres d’un autre clan appelé Kada. Le clan Kada vénérait un kami du nom de Shi no Ôkami 四大神. Le Kanji du chiffre 4 (shi) est utilisé car il semblerait que ce kami soit en fait la réunion de 4 entités… Selon certains, ces 4 kami seraient Isotakeru, Oyatsuhime et Tsumatsuhime, les enfants de Susanoo, ainsi que Yasogami le frère d’Onamuchi (qui deviendra Ôkuninushi, le dirigeant du Japon avant l’arrivée du petit-fils d’Amaterasu). Shi no Ôkami fut lui aussi intégré au sanctuaire Fushimi Inari-taisha en tant qu’Inari.

Sanctuaire Toyokawa Inari (photo wikipedia)

 

Comme annoncé dans l’introduction de cet article, il y a de nombreux sanctuaires dédiés à Inari. Les Japonais aiment beaucoup établir des listes des meilleurs lieux, comme par exemple les « trois plus belles vues du Japon » ou encore les « trois plus grands matsuri » (festival), du coup ils ont tenté d’établir une liste des « trois lieux les plus importants dédiés à Inari », mais là aussi c’est plus compliqué qu’il n’y paraît…

Le premier lieu de cette liste est bien évidemment le sanctuaire Fushimi Inari-taisha. Le 2e lieu n’est pas un sanctuaire, mais un temple, le Toyokawa Inari (Préfecture d’Aichi). Le Toyokawa Inari, dédié à Dakini-ten, possède de nombreuses petites statues de renards (photo ci-dessus) portant un yodarekake (bavoir rouge).

C’est pour le 3e lieu le plus important qu’il y a débat… Le résultat dépend de la région, par exemple pour les habitants de l’île de Kyûshû, il s’agit du sanctuaire Yûtoku Inari-jinja (Préfecture de Saga). Ce sanctuaire est dédié aux trois mêmes kami que ceux du sanctuaire Fushimi Inari-taisha : Ukanomitama, Sadahiko et Ômiyanome. Pour d’autres, il s’agit d’un autre temple, le Saijô Inari d’Okayama…

Kasamori Inari-jinja

Pourquoi les renards comme messagers ?

Comme nous l’avons vu, Inari est essentiellement représenté sous la forme de ses messagers, les kitsune (renards). Selon la légende, une famille de renards aurait fait une sorte de pèlerinage jusqu’au mont Inari afin de demander à Inari de pouvoir le servir, devenant ainsi ses messagers.

En réalité, le fait que les renards soient associés à la divinité des récoltes s’explique assez facilement, puisque l’on trouve souvent des renards autour des récoltes. D’autant plus que leur présence est très bénéfique, puisqu’ils s’occupent des rongeurs qui s’attaquent aux récoltes.

Les kitsune sont aussi des animaux populaires dans le folklore japonais, puisqu’ils font aussi partie des yôkai (créatures du folklore japonais). De manière générale, on trouve deux catégories de kitsune : les zenko 善狐 qui sont des renards bienveillants et dont les messagers d’Inari font partie, et les yako 野狐 connus pour leur espièglerie et pour pouvoir prendre forme humaine…

 

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Voilà pour cette présentation du kami Inari. C’est un kami très populaire, mais surtout très passionnant. Grâce à Inari, on se rend compte que l’évolution de la société influence les attributions des kami, mais aussi que différents cultes et divinités peuvent s’influencer et même s’absorber.

Il y a énormément de choses à dire sur Inari, j’ai essayé d’être assez précise tout en étant claire, du coup j’espère que ça vous a plu ! On se retrouve très vite pour un nouveau kami.

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