L’histoire fascinante des pèlerinages au Japon

Estampe représentant le pèlerinage jusqu’à la grotte sacrée de Benzaiten, par Hiroshige Ando (wikipedia)

 

Le pèlerinage est par définition un voyage entrepris par un fidèle d’une religion vers un lieu de dévotion. Il en existe de très nombreux dans le monde : Saint-Jacques-de-Compostelle, La Mecque, Bénarès… et le Japon n’est pas en reste.

Se rendre dans un lieu de culte au Japon est toujours très courant, pour les Japonais comme pour les étrangers. Ces lieux de culte, shintô (religion d’origine japonaise) comme bouddhistes (religion importée au VIe siècle), sont très nombreux et parfois très anciens. L’histoire des pèlerinages au Japon a commencé il y a longtemps et leur popularité a même réussi à atteindre toutes les couches de la population à l’époque Edo (1603-1868) comme nous le verrons…

Mandala représentant des pèlerins au Sanctuaire Nachi-taisha (wikipedia)

 

L’origine des pèlerinages au Japon

Les pèlerinages au Japon existent depuis très longtemps, mais ils étaient dans un premier temps réservés à la famille impériale. À l’époque Heian (794-1185), le lieu de pèlerinage le plus important était Kumano. Il fallait entre 30 et 40 jours pour effectuer un aller-retour pour Kumano depuis Kyôto où se trouvait la capitale impériale, et le chemin pour y parvenir était plutôt difficile.

La popularité de Kumano comme lieu de pèlerinage vient principalement du fait que la région est sacrée à la fois pour le shintô et pour le bouddhisme. Dans la mythologie japonaise Kumano est associé au Yomi 黄泉, le pays des morts dans la religion shintô, ainsi qu’à la Terre pure (淨土 jôdo) dans la religion bouddhiste.

Vers le XIIIe siècle la tradition des pèlerinages impériaux commence à décroître, en même temps que le pouvoir impérial. Comme le pouvoir militaire (bakufu) va prendre de l’ampleur au Japon, ce sont les samouraïs qui commencent à faire de nombreux pèlerinages. Kumano va décliner pendant l’époque Muromachi (1336-1573) au profit du pèlerinage pour le sanctuaire Ise-jingû, qui était auparavant strictement réservé à la famille impériale. Kumano redeviendra cependant populaire pendant l’ère Edo, période où la popularité des pèlerinages explose.

Estampe représentant un pèlerinage au sanctuaire du Mont Atago (wikipedia)

 

Popularisation des pèlerinages

Après le pouvoir impérial et les samouraïs, les pèlerinages vont se propager à toutes les couches de la population, parfois même de manière illégale…

Pendant l’époque Edo (1603-1868) les voyages étaient interdits, seuls les pèlerinages étaient autorisés à condition d’obtenir un passeport pour se déplacer. Il existait deux types de permis pour pouvoir circuler d’une région à une autre : un laissez-passer que l’on pouvait obtenir seulement pour des raisons bien précises et un passeport appelé Ôrai Tegata, qui pouvait être délivré par un temple/sanctuaire pour effectuer un pèlerinage.

Pour avoir une chance d’obtenir un passeport, les revenus les plus modestes devaient passer par un système de confréries 講 . Les membres d’une confrérie mettaient de l’argent en commun pour qu’un membre soit tiré au sort et puisse effectuer le pèlerinage. Le but étant qu’à la fin, chaque membre puisse y aller. Le membre, ou les membres, qui avait la chance d’aller en pèlerinage devait ramener un souvenir aux autres membres de sa confrérie, grâce à qui il a pu partir. On pense que la tradition des omiyage お土産 viendrait de là. Les omiyage sont des souvenirs, souvent liés à la nourriture, que l’on ramène du lieu visité à sa famille, amis et même collègues de travail. C’est une tradition (et un commerce) très importante au Japon. Il existait des confréries pour tous les pèlerinages et il existait même des confréries pour femmes.

Temple Zenkô-ji

Nakamise-dôri, rue commerçante menant au temple Zenkô-ji (Nagano)

 

Avec la popularité grandissante des pèlerinages, des zones commerçantes voient le jour autour des temples et sanctuaires. Appelées Monzen-machi 門前町, on trouve dans ces zones des auberges, des restaurants, des échoppes de souvenirs, mais aussi des quartiers de plaisir…

On trouve aussi de plus en plus de Onshi 御師 (ou Oshi), les « ancêtres » des guides touristiques. Les Onshi étaient sous contrat avec un temple/sanctuaire ou avec une auberge et étaient chargés d’amener les pèlerins au lieu en question. Ils rendaient souvent visite aux différentes confréries pour leur amener des amulettes, mais aussi pour leur préparer leur itinéraire, réserver les auberges et les guider sur le chemin du pèlerinage. Les Onshi étaient nombreux et se livraient parfois une forte concurrence pour attirer les pèlerins dans leur temple/sanctuaire.

Le système des Onshi fut aboli en 1871 par le nouveau gouvernement Meiji, qui de manière générale va changer beaucoup de choses en matière de culte. Le bouddhisme et le shintô, qui jusqu’ici avaient quasiment fusionné, vont être séparés. Le shintô deviendra religion d’État et le bouddhisme va vraiment beaucoup souffrir pendant cette période… On y reviendra dans un prochain article si le sujet vous intéresse…

Estampe représentant l’empereur Meiji qui se rend en pèlerinage au sanctuaire Ise-jingû en 1869 (wikipedia)

 

Okage mairi, les pèlerinages de grande ampleur pour le sanctuaire Ise-jingû お蔭参り

Les pèlerinages pour le sanctuaire Ise-jingû 伊勢神宮 sont devenus populaires avec le déclin du pouvoir impérial au profit du gouvernement militaire (bakufu). Comme le sanctuaire Ise-jingû est dédié principalement à la divinité du soleil Amaterasu, l’ancêtre de la famille impériale, seul l’empereur était autorisé à y aller. Mais avec le déclin impérial, la population fut enfin autorisée à visiter le sanctuaire Ise-jingû. Ce sanctuaire est en réalité divisé en deux enceintes, le Naikû 内宮 qui est dédié à Amaterasu et le Gekû 外宮 dédié à la divinité de la nourriture et du logement Toyouke 豊受大神. Le Gekû était assez populaire pendant l’époque Edo et les pèlerins ne venaient pas forcément pour prier uniquement Amaterasu.

Les pèlerinages pour le sanctuaire Ise-jingû étaient très prisés pendant l’époque Edo (1603-1868). On appelle Okage mairi les pèlerinages de grande ampleur, qui avaient lieu environ tous les 60 ans, pour le sanctuaire Ise-jingû. Ces pèlerinages étaient pour la plupart du temps effectués clandestinement (nuke mairi 抜参), car même les plus pauvres voulaient s’y rendre. Les voyageurs, extrêmement nombreux, devaient alors compter sur la générosité des gens qui habitaient le long des chemins du pèlerinage, d’où le nom de Okage mairi (okage de = grâce à).

Des Okage mairi eurent lieu, entre autres, en 1705, 1771 et 1830. Les pèlerins sur les routes étaient ces années-là vraiment très nombreux, les gens abandonnaient soudainement leur vie et leur travail le temps de partir en pèlerinage. Il y avait alors tellement de monde sur les routes que les gens organisaient de véritables fêtes le long du chemin.

Photo du Naikû, dédié à Amaterasu (wikipedia)

 

En 1705, plus de 3,5 millions de pèlerins se sont rendus au sanctuaire Ise-jingû pendant le Okage mairi, c’est assez impressionnant ! Mais les Okage mairi n’avaient malheureusement pas que des points positifs. Il y avait tellement de monde que tous ne pouvaient pas profiter de la générosité des habitants et beaucoup de gens sont morts de faim sur le chemin.

S’il y avait autant de monde sur les routes lors de ces pèlerinages clandestins, c’est à cause des conditions très dures dans lesquelles vivait la population. Les Japonais cherchaient vraiment à se libérer des contraintes de la société et/ou familiales. Bien évidemment, le fait que des milliers de personnes s’arrêtaient de travailler du jour au lendemain pour déserter les villages ne plaisait pas à certains daimyô 大名 (seigneurs locaux) qui ont essayé de faire interdire ces pèlerinages.

La visite au sanctuaire Ise-jingû est toujours populaire de nos jours, puisqu’il s’agit du sanctuaire le plus important du Japon. Je vous laisse consulter l’article publié par Nippon100 pour voir à quoi ressemble le sanctuaire. Si les pèlerinages au sanctuaire Ise-jingû étaient les plus populaires à l’époque Edo, très souvent les pèlerins ne se contentaient pas de visiter un seul lieu et effectuaient des circuits qui incluaient plusieurs temples/sanctuaires. Parmi les lieux les plus populaires, je tenais à évoquer en priorité quelques pèlerinages qui sont toujours importants de nos jours.

Estampe représentant des pèlerins au Mont Fuji, par Utagawa Hiroshige III (wikipedia)

 

L’ascension du Mont Fuji 富士登山

Même si on utilise de nos jours davantage l’expression « Ascension du Mont Fuji », il s’agit en réalité d’un lieu de pèlerinage car le Mont Fuji 富士山 Fujisan est une montagne sacrée. D’ailleurs, les femmes n’avaient pas le droit d’en faire le pèlerinage, car elles étaient considérées comme impures. Si vous avez lu mes articles sur la mythologie japonaise, vous savez que le kami (divinité shintô) associé au Mont Fuji est Konohana, la femme de Ninigi le petit-fils de la divinité du soleil Amaterasu. On vénère Konohana au sanctuaire Fujisan Hongû Sengen-taisha (photo ci-dessous) pour que le Mont Fuji, qui est un volcan, n’entre pas en éruption.

La première personne a avoir fait l’ascension du Mont Fuji n’est autre que le moine En no Gyôja, qui gravit le volcan en 663. En no Gyôja est le fondateur du Shugendô 修験道, un mouvement basé sur l’ascétisme (discipline du corps et de l’esprit) en montagne. D’ailleurs, le Mont Fuji était un important centre du Shugendô au XIIe siècle.

Fujinomiya Hongû Sengen-taisha (wikipedia)

 

Comme évoqué un peu plus haut dans l’article, les confréries étaient un moyen populaire pour faire un pèlerinage et les confréries pour le Mont Fuji, 富士講 Fujikô, étaient particulièrement nombreuses. En plus des participants, on trouvait dans les confréries un Sendatsu 先達 qui était chargé de guider les pèlerins pendant le pèlerinage jusqu’au Mont Fuji. Aussi, chaque confrérie avait une sorte de drapeau à son effigie, du coup les représentants de ces confréries tirés au sort pour effectuer le pèlerinage laissaient ces drapeaux au sommet du Mont Fuji comme trace de leur passage. 

De nos jours, l’ascension du Mont Fuji se fait, officiellement, uniquement de Juillet à Septembre, quand son sommet n’est plus couvert de neige. Le Mont Fuji mesure 3776 mètres de hauteur et il y a en tout 10 stations le long du volcan permettant de se rendre à son sommet. Il existe quatre sentiers différents pour atteindre ces stations, le plus populaire et le plus facile étant le Yoshida, qui commence à la station 5 du Mont Fuji : Kawaguchiko (2308 mètres).

Pendant l’ouverture officielle du Mont Fuji (de Juillet à Septembre) on trouve des refuges et du personnel à chacune des 10 stations. L’ascension du Mont Fuji est très populaire, pendant ces quelques mois d’ouverture il y a environ 300.000 grimpeurs, il vaut donc mieux éviter les week-ends et jours fériés pour faire l’ascension. Je vous laisse consulter le site d’un Gaijin au Japon pour avoir de précieux conseils sur l’ascension du Mont Fuji.

Statue de Kôbô Daishi au temple Motoyama-ji faisant partie du pèlerinage (wikipedia)

 

Pèlerinage de Shikoku 四国八十八箇所

Le pèlerinage de Shikoku est un pèlerinage assez long et difficile puisqu’il comprend la visite de 88 temples, situés sur l’île de Shikoku.

Ce pèlerinage est fait en l’honneur de Kôbô Daishi 弘法大師, aussi connu sous le nom de Kûkai 空海, le moine fondateur de l’école bouddhiste Shingon. Kôbô Daishi est un moine bouddhiste très populaire au Japon, il est notamment à l’origine du magnifique Mont Kôya, centre du Shingon. Pour en revenir au pèlerinage, son origine remonte au IXe siècle, quand Kôbô Daishi parcourut l’île de Shikoku à la recherche de l’éveil. Le parcours des 88 temples est divisé en quatre parties, une par préfecture de l’île de Shikoku, et chaque partie symbolise le cheminement vers l’éveil.

Pour parcourir les 1200 km qui relient les 88 temples du pèlerinage, à pied, il faut entre 30 et 60 jours, c’est donc un pèlerinage très exigeant. Ce pèlerinage est devenu populaire au XVIIe siècle avec la parution d’un guide du pèlerinage rédigé par un moine. De nos jours, peu de pèlerins le font entièrement à pied, beaucoup visitent seulement quelques temples ou/et font le chemin en transports en commun ou voiture.

Les pèlerins qui effectuent le pèlerinage de Shikoku sont appelés henro 遍路 et portent une tenue bien reconnaissable composée, entre autres, d’un chapeau en cône 菅笠 sugegasa, d’une veste blanche 白衣 hakue ou encore d’un bâton de pèlerin 金剛杖 kongô-zue. Cette tenue permet aux habitants de reconnaître ceux qui font le pèlerinage. D’ailleurs, il n’est pas rare que la population locale aide les pèlerins en leur offrant de la nourriture ou des boissons. Le pèlerin possède aussi un Nôkyô-chô 納経帳, un carnet à présenter dans chaque temple visité pour recueillir la calligraphie (goshuin) du temple, comme preuve (et souvenir).

Pour aller plus loin je vous conseille le témoignage du site sac à dos dont l’auteur a effectué le pèlerinage de Shikoku. Je vous conseille aussi le livre Le pèlerinage de Shikoku-En images et en mots de Sophie Lavaur, publié aux éditions Le Prunier-Sully que j’aime beaucoup…

Pagode du temple Seiganto-ji (wikipedia)

 

Kumano kodô 熊野古道

On a déjà évoqué Kumano au début de l’article pour parler de l’origine des pèlerinages au Japon, il s’agit d’un lieu toujours réputé de nos jours.

Les chemins de pèlerinage de Kumano sont connus sous le nom de Kumano Kôdo et permettent de visiter les trois grands sanctuaires de Kumano (Kumano Sanzan 熊野三山) : Hongû-taisha, Hayatama-taisha et Nachi-taisha. Ce sont trois endroits très populaires au Japon, d’ailleurs vous avez déjà dû voir une photo de la Pagode du Seiganto-ji avec la cascade en fond (photo ci-dessus) car elle est très souvent utilisée pour la promotion du tourisme au Japon.

En plus de pouvoir accéder aux trois sanctuaires grâce à ces chemins, il est aussi possible de rejoindre le Mont Kôya ou encore le sanctuaire Ise-jingû depuis Kumano. Même si avec l’urbanisation, certaines parties des chemins ont disparu il est quand même possible de faire une portion de randonnée sur les chemins pavés d’origine du pèlerinage (parcours Nakahechi).

Ces chemins passent en pleine forêt, parmi des arbres immenses, c’est une chance incroyable de pouvoir fouler ces chemins fréquentés par des pèlerins depuis tellement d’années, pour rejoindre les sanctuaires de Kumano… D’ailleurs les chemins de pèlerinage Kumano Kodô sont tellement uniques qu’ils font partie du Patrimoine mondial de l’UNESCO. Pour vous faire une idée des sanctuaires de Kumano, je vous laisse consulter les articles de Japan Kudasai, qui a pas mal voyagé dans la région.

Statues des Sept divinités du bonheur, temple Daishô-in

 

Pèlerinages des sept divinités du bonheur 七福神巡り

Les pèlerinages des sept divinités du bonheur sont très prisés, notamment au moment de la nouvelle année. En plus d’apporter de la chance pour l’année en cours, ces pèlerinages sont assez faciles à faire puisque plusieurs temples les proposent dans tout le Japon. 

Les sept divinités du bonheur : Ebisu, Daikokuten, Bishamonten, Benzaiten, Fukurokuji, Jurôjin et Hotei ont commencé à émerger vers la fin de l’époque Muromachi (1392-1568), mais c’est surtout pendant la période Edo (1603-1868) qu’elles ont été regroupées sous leur forme actuelle. Ces divinités sont donc, comme leur nom l’indique, associées au bonheur. Il existe plusieurs façons de s’approprier leur faveur pour la nouvelle année et l’une d’entre elles est justement d’effectuer un pèlerinage. Pour faire ce type de pèlerinage, il suffit de visiter sept temples dédiés à ces divinités du bonheur, un temple par divinité.

Ces temples sont souvent situés à proximité les uns des autres et leur visite vous permettra d’obtenir sept goshuin (calligraphies) différents. Réunir les sept goshuin vous portera chance pour l’année en cours. Je vous laisse consulter le blog de Frenchy Nippon pour voir le compte-rendu de son pèlerinage des sept divinités dans la ville de Kôbe.

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Voilà pour cette présentation de l’histoire des pèlerinages au Japon, c’est un sujet vraiment passionnant. J’aimerais tellement faire les chemins de pèlerinage de Kumano Kodô, visiter le sanctuaire Ise-jingû ou encore faire l’ascension du Mont Fuji… Et vous, vous avez déjà visité ces lieux ?

 

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