Nara-Trésors du Bouddhisme Japonais

Du 23 janvier au 18 mars 2019

Afin de clôturer la saison Japonismes 2018 en beauté, le Musée Guimet nous offre une exposition regroupant trois sculptures venant du temple Kôfuku-ji : un Jizô Bosatsu 地蔵菩薩 (Bien culturel important) et une paire de Kongô Rikishi 金剛力士 (Trésor national du Japon). Cette exposition est une occasion unique de profiter de ces sculptures, et pas seulement en France, j’y reviendrai par la suite mais sachez que le Jizô Bosatsu est conservé dans un bâtiment fermé au public au Japon…

Le Musée Guimet m’a très gentiment invité à venir contempler ces sculptures lors d’une visite guidée en compagnie du conservateur du musée et je dois vous dire que j’ai passé un superbe moment. Que ce soit les sculptures, l’accueil du musée ou les récits passionnants du conservateur… tout était parfait.

Comme j’ai eu l’occasion d’apprendre beaucoup de choses sur ces sculptures grâce à cette visite, je me suis dit que j’allais partager tout ça avec vous.

Ces trois sculptures, agencées dans la superbe bibliothèque historique du musée, sont la propriété du temple Kôfuku-ji 興福寺 de Nara.

Nara fut la première capitale fixe du Japon de 710 à 784 et le bouddhisme japonais y a toujours tenu une place très importante. En conséquence, la ville abrite de nombreux monuments historiques liés principalement au bouddhisme. Bien que son temple le plus connu soit le temple Tôdai-ji et sa statue de Bouddha, le temple Kôfuku-ji est aussi un incontournable de la ville. Sachez également, si vous n’avez jamais mis les pieds à Nara, qu’une de ses particularités est d’avoir des cerfs (shika) qui parcourent librement la ville historique… ainsi lors de votre visite des monuments de la ville vous ne serez jamais seul.

Le Kôfuku-ji est le temple familial du clan Fujiwara, un clan très important pendant les époques de Nara et de Heian. Il fut construit en 669 à Kyôto, avant d’être d’abord déplacé à Asuka, puis définitivement installé à Nara en 710 (date à laquelle Nara devient la capitale du Japon). Ce temple fut très important pour la ville et même lorsque la capitale du Japon fut déplacée à Kyôto, le temple Kôfuku-ji continua de prospérer grâce à la protection du clan Fujiwara… (pour plus de détails, je vous invite à lire mon article sur le Kôfuku-ji). L’enceinte du temple, beaucoup moins fournie en bâtiments qu’auparavant, compte tout de même des bâtiments très intéressants et des objets bouddhistes très importants, elle est d’ailleurs inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO.


Présentation des Sculptures


 

L’exposition est composée de trois sculptures : un Jizô Bosatsu encadré de deux Kongô Rikishi (rois gardiens). Ce sont les moines du temple Kôfuku-ji qui ont décidé que la sculpture du Jizô Bosatsu, la plus rare car cachée du public, serait accompagnée de deux rois gardiens.

Sachez d’ailleurs que les moines du Kôfuku-ji ont pratiqué une cérémonie au Musée lors de l’arrivée des sculptures (à leur départ du Japon aussi), afin d’expliquer aux sculptures la raison de leur venue : représenter la culture bouddhiste à l’étranger… autant vous dire que c’est un grand honneur que nous font ces moines (et le Musée Guimet) en nous permettant de voir de plus près ces merveilles.

 


Jizô Bosatsu 地蔵菩薩 (Bodhisattva Ksitigarbha)

Bien culturel important

139,7 cm

Cette statue de Jizô Bosatsu 地蔵菩薩 mérite à elle seule le déplacement, car même si vous vous rendez au temple Kôfuku-ji, vous n’aurez pas la chance de la voir de vos propres yeux puisqu’elle est conservée dans la salle Karikôdô, fermée au public.

Jizô Bosatsu est un Bodhisattva, c’est à dire qu’il a atteint l’éveil mais a décidé de retarder son entrée dans le nirvâna afin de rester sur terre pour veiller sur les êtres humains et d’endurer leur souffrance à leur place :

« Je ne deviendrai pas Bouddha avant que les enfers soient vidés »

Jizô Bosatsu fut introduit au Japon pendant la période de Nara. Comme il est le symbole de la compassion envers la souffrance humaine, on le retrouve associé à différents thèmes : par exemple il n’est pas rare de trouver des petites statuettes de Jizô avec un bonnet et un bavoir (tous les deux sont de couleur rouge) dans les temples, elles sont là pour accompagner les enfants qui sont mort-nés ou pendant la grossesse et qui sont par conséquent vulnérables dans l’au-delà… ce sont souvent les mères en deuil qui viennent vêtir le Jizô. On retrouve également des statuettes de Jizô le long des routes afin de protéger les voyageurs… Jizô est extrêmement populaire au Japon, vous croiserez donc souvent des petites statuettes à son effigie.

Comme vous pouvez le voir sur les photos, Jizô est représenté se tenant sur un piédestal en forme de lotus, il a le crâne rasé et est vêtu d’un Kesa 袈裟 (robe), son coude gauche est plié et sa main est levée sur la poitrine, son bras droit est quant à lui légèrement plié et abaissé.

Cette représentation de Jizô faisant un geste rituel bouddhiste les mains vides, n’est pas la seule représentation de Jizô, c’est même la moins courante. En effet, la majorité des représentations de Jizô ajoute deux symboles : le Nyoi Hôju 如意宝珠, qui est le joyau utilisé par Jizô lors de la réalisation des vœux et qui symbolise la richesse et le bonheur apportés par Jizô, ainsi que le Shakujô 錫杖, un bâton de marche avec des anneaux.  Je vous ai mis, ci-dessous, une photo d’un Jizô que j’ai croisé au Mont Kôya (un haut lieu du bouddhisme au Japon), sur cette statue vous pouvez voir le joyau dans sa main gauche et le bâton dans sa main droite.

Pour en revenir à la sculpture exposée au Musée Guimet, elle daterait du 9e siècle et serait donc plus ancienne que celles des Kongô Rikishi. Néanmoins, comme elle fut rénovée vers le 13e siècle, en même temps que les deux Kongô Rikishi, on peut noter une certaine unité chez les trois sculptures.

Elle se démarque tout de même des deux autres dans la façon dont elle fut construite : elle fut entièrement sculptée dans un seul morceau de bois. Malheureusement, les mains ne sont pas celles d’origine et ont été refaites dans un matériau différent… mais la tête, le torse et le socle en forme de lotus ont été sculptés dans un seul et même arbre. Cette technique s’appelle Ichiboku-zukuri 一木造.

La peinture utilisée pour sa peau est composée de poudre d’or dissoute dans de la colle et pour le reste de la sculpture deux techniques ont été utilisées : la superposition des couleurs afin de donner du relief et la technique décorative utilisant des feuilles de métal découpées, méthode qu’on retrouvera également chez les deux autres sculptures. Le halo, que j’aime beaucoup, est composé d’une tige de fleur de lotus qui part du piédestal avec 26 rayons de lumière sortant de la fleur de lotus centrale… Je vous conseille d’ailleurs de regarder attentivement cette sculpture de dos (les deux autres sculptures aussi) car elle est vraiment très détaillée et on y voit la tige de fleur qui parcourt tout son dos depuis le piédestal, c’est magnifique.

 


Les deux Kongô Rikishi 金剛力士 (Vajrapani)

Trésor national

Agyô (bouche ouverte) : 154 cm / Ungyô (bouche fermée) : 153,7 cm

Si vous vous êtes déjà rendus dans un temple au Japon, les Kongô Rikishi vous sont sûrement familiers. On les appelle aussi Niô 仁王 et on les trouve souvent de chaque côté des portes permettant d’accéder à l’enceinte du temple comme vous pouvez le voir sur la photo ci-dessous, prise au temple Zenkô-ji de Nagano. Leur tâche est de protéger le monde bouddhiste.

Ces deux sculptures sont normalement exposées au Musée du trésor national du temple Kôfuku-ji, donc si vous prévoyez une visite au temple vous pourrez les voir, contrairement au Jizô Bosatsu. Il paraît néanmoins qu’au Kôfuku-ji on ne peut pas les approcher d’aussi près, c’est donc une opportunité de pouvoir les approcher afin de bien les observer (n’oubliez pas de les regarder de dos également). Lors de ma visite au Kôfuku-ji en 2015, je n’avais pas pris le temps de visiter le musée du coup je suis contente d’avoir pu me rattraper.

Comme vous pouvez le remarquer sur les photos ci-dessous, les deux Kongô Rikishi ne se ressemblent pas : il y en a un avec la bouche grande ouverte Agyô 阿形 : « qui forme le son A » et un avec la bouche fermée : Ungyô 吽形 « qui forme le son hûm ». On peut également noter que le Ungyô sur cette sculpture a malheureusement perdu un bout de son bras inférieur.

La forme de la bouche n’est pas leur seul signe distinctif puisque leur posture est différente : par exemple l’Agyô a la hanche levée vers la gauche et sa main gauche forme un poing serré au dessus de l’épaule alors que l’Ungyô a la hanche levée vers la droite et sa main gauche forme un poing serré vers le bas. De manière générale, on peut noter que le Kongô Rikishi « Agyô » représente le mouvement alors que le « Ungyô » représente l’immobilité.

Tout comme pour le Jizô, les représentations des Kongô Rikishi, que vous trouverez sur les portes des temples, peuvent être différentes : l’Agyô (à droite de la porte) est souvent de couleur plus claire (rouge) et tient parfois un bâton de foudre (kongôsho 金剛杵) d’une grande puissance destructrice, dans la main; le Ungyô (à gauche de la porte), est quant à lui souvent de couleur plus sombre (bleu ou vert).

Contrairement à la sculpture de Jizô, qui fut construite dans un seul et même morceau de bois, les deux Kongô ont été créés selon la technique du Yosegi Zukuri 寄木造 : « assemblage de morceaux de bois ». Ainsi, les blocs du haut et du bas sont deux morceaux différents superposés au niveau du ventre, c’est ce qui donne ce fantastique effet de mouvement intense aux sculptures.  Les globes oculaires des sculptures sont quant à eux faits en cristal de roche.

La sculpture a ensuite été entièrement recouverte de tissu de chanvre sur lequel on a appliqué de l’argile blanche qui a été peinte. Comme pour la sculpture de Jizô, on peut remarquer différents motifs sur le bois au niveau des jupes (phénix, dragon, nuage… ) qui ont été réalisés selon la technique Kirikane 截金 : à l’aide de feuilles métalliques découpées. Cette technique Kirikane, réalisée sur les trois sculptures leur confère une certaine unité.

Il est peut-être difficile de s’en rendre compte en voyant les photos, mais les deux sculptures sont de taille humaine, d’ailleurs l’anatomie des muscles et la structure squelettique ont été correctement respectées. C’est ce que j’aime beaucoup dans ces deux sculptures : elles sont très charismatiques, voir effrayantes, tout en étant à échelle humaine… elles sont splendides.

J’ai vraiment adoré cette exposition et je remercie à nouveau le Musée Guimet de m’avoir donné l’opportunité de les voir le jour de l’ouverture et de m’avoir permis d’obtenir toutes ces informations sur les sculptures (grâce au conservateur si passionné et passionnant).

Je suis vraiment contente d’avoir pu voir cette sculpture de Jizô si rare… en plus j’avais raté les deux Kongô Rikishi lors de ma visite du temple Kôfuku-ji, du coup je suis encore plus contente d’avoir pu me rattraper. C’est vraiment un privilège de pouvoir les voir en France… Surtout que les sculptures sont disposées dans la magnifique bibliothèque historique du Musée. J’ai vraiment adoré cette disposition avec les livres anciens de la bibliothèque en fond et la coupole de la rotonde en guise de plafond… les sculptures sont vraiment bien mises en valeur.

J’espère avoir réussi à vous montrer, avec cet article, que ces trois sculptures sont des pièces d’une qualité et d’une richesse historique et religieuse vraiment fortes. Je vous recommande vivement d’aller les voir de vos propres yeux… aussi, n’oubliez pas de faire un tour dans les salles japonaises du Musée Guimet, il y a vraiment de très jolies pièces :


Mémo


 

Du 23 janvier au 18 mars 2019

S’y rendre ?

Le Musée Guimet est situé à quelques minutes à pied des stations de métro Iéna (ligne 9) et Boissière (ligne 6)

 

Horaire et tarif ?

Le musée est ouvert de 10h à 18h. Il est fermé les Mardi.

Plein tarif : 11,50€,  tarif réduit : 8,50€

Tout achat de billet inclut une seconde visite dans les 14 jours

site officiel

 


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4 thoughts on “

Nara-Trésors du Bouddhisme Japonais

  • Les Kongô me font peur ! maintenant je sais pourquoi je trouve leurs yeux si expressifs, ça doit être du à la matière ! Le Jizô est magnifique . Quand je suis passée au Kofuku-ji, le hall principal était entièrement déconstruit pour sa rénovation, du coup je ne m’y suis pas attardée, merci pour tes précisions et photos, de près les détails doivent être saisissants .

    • Oui, je les trouve aussi un peu effrayant… surtout comparé aux Komainu qui ont un peu le même rôle dans les sanctuaires.
      Le Hall du centre a rouvert récemment (je l’avais loupé aussi), il a l’air vraiment magnifique.
      Merci, c’est gentil 🙂 Oui elles sont vraiment très détaillées, mes photos ne leur rendent tellement pas justice…

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