Visite d’une ancienne brasserie de Saké
Pendant mon année d’échange à l’Université de Kôbe, j’ai eu la chance de pouvoir me rendre à Tanba Sasayama 丹波篠山, une petite ville très charmante de la Préfecture de Hyôgo. On y a découvert plein d’activités comme le Tanba tachikui-yaki 丹波立杭焼 : un type de poterie japonaise produit dans la ville depuis le 12e siècle… mais je vous en reparlerai dans un autre article. Pour l’instant je souhaite vous parler de ma visite d’une ancienne brasserie de Saké (酒造, shuzô = brasserie de saké).
D’ailleurs, petite précision avant de commencer : le saké en japonais se dit Nihonshû 日本酒(= alcool japonais) car le mot sake 酒 ou o-sake お酒 (prononcé saké) désigne plutôt l’alcool en général… j’utiliserai quand même le mot saké dans l’article par soucis de clarté.
Pour en revenir à la ville de Tanba Sasayama, il s’agit d’une petite ville qui a su préserver son aspect et son charme de ville ancienne, et cela malgré le fait qu’elle soit située à seulement une heure d’Ôsaka, Kôbe et Kyôto. Le vrai nom de cette ville est Sasayama, mais comme elle est très attachée à sa culture et au nom de son ancienne province : la province de Tanba… ses habitants ont voté, lors d’un référendum fin 2018, pour le nouveau nom de Tanba Sasayama, qui deviendra officiel en mai 2019.
La ville est connue, entre autres, pour son agriculture (soja noir, yamaimo…), sa poterie et pour son saké. Le saké de Tanba Sasayama est fait à partir du riz et de l’eau de la ville, tous les deux très réputés pour leur qualité, et est le résultat du savoir-faire du « Tanba Tôji » 丹波杜氏 (tôji 杜氏 = maître brasseur), un groupe de maîtres brasseurs de saké (brasseur de Saké = 蔵人 Kurabito) de la ville.
Le Tanba Tôji et la réputation de la ville en matière de saké remontent à l’époque d’Edo, quand les habitants de la région de Tanba Sasayama, qui étaient principalement des fermiers, ont commencé à se tourner vers la fabrication de saké par obligation. Les conditions étaient non seulement très difficiles en hiver, mais en plus les propriétaires terriens exigeaient de la part des fermiers une contribution trop importante de leur récolte… ainsi ils furent obligés de chercher du travail ailleurs : à Nada (Kôbe) dans la production de saké.
Les débuts furent difficiles car les propriétaires terriens décidèrent, en 1767, de leur interdire d’aller produire du saké afin qu’ils se concentrent sur les récoltes. Un représentant des fermiers : Ichihara Seibei, décida de faire appel de la décision et de faire baisser la contribution. Il sera dans un premier temps mis en prison, puis assassiné (tueurs envoyés par les propriétaires terriens) avant que son deuxième appel ne soit approuvé et n’autorise ces fermiers à vivre du saké. Un monument en son honneur fut construit au château de Sasayama où les membres du Tanba Tôji lui rendent souvent hommage.
Le Tanba Tôji va se faire remarquer en 1807, lors d’un concours de brassage de saké. Ils vont introduire une méthode permettant de raccourcir la durée de production du saké en raccourcissant le temps nécessaire à la production de la levure (ne vous en faites pas je reviendrai sur les étapes de la fabrication du saké).
Cette méthode, qui démontre de grandes compétences, a permis au Tanba Toji de faire partie des trois brasseries les plus importantes du Japon. La ville possède un musée dédié au Tanba Tôji (infos à la fin de l’article) : le Tanba Tôji Brewery Museum, je regrette vraiment de ne pas l’avoir visité car l’histoire de ces maîtres brasseurs est passionnante.
C’est dans l’ancienne brasserie de Saké Hômei (Hômei Shuzô 鳳鳴酒造) que notre visite eut lieu. Ancienne, car ce n’est plus ici que la brasserie produit son saké local, mais dans une brasserie située un peu plus loin. Il faut dire qu‘elle est très ancienne puisqu’elle date de 1797 (ancien nom de la brasserie : Nishiô). Cette ancienne brasserie fait maintenant office de boutique de saké (Horoyoi Jokakura : infos sur la boutique à la fin de l’article) et de musée, à l’arrière de la boutique, là où était fabriqué le saké. Même si on a pas visité les lieux actuels de la production de saké, on a pu voir comment elle se faisait à l’époque puisque tout est d’origine (outils et ustensiles, photos ci-dessus)… je ne sais pas si ça ressort sur les photos, mais l’endroit était vraiment plein de charme.
C’était vraiment très impressionnant de se balader parmi tous ces objets qui ont servi à produire du saké de grande qualité. En plus, même si on a pas eu de démonstration, on a quand même eu droit à des explications sur la production du Saké et c’est vraiment du travail… Je vous explique ça en quelques mots :
-Les ingrédients de base
Le saké étant un alcool à base de riz, il s’agit donc de l’ingrédient principal. Mais ce n’est pas n’importe quel riz puisqu’il faut un riz non-collant qui contient une faible teneur en protéines. L’eau est également très importante et ne doit pas contenir plus de 0,02 ppm (parties par million) de fer afin que la saveur du saké ne soit pas altérée. En ce qui concerne ces deux ingrédients, les brasseries de la ville ont la chance d’avoir des produits d’excellentes qualités, directement sur place.
-Polissage du riz
Afin d’enlever les graisses, minéraux et protéines que contient la couche externe du riz, il faut polir le grain (seimai 精米 ) : entre 30% et 50% de la couche externe. Plus le % de polissage est élevé plus il est prestigieux. Ainsi, comme vous pouvez le voir sur la photo ci-dessus : le « riz brun » (genmai 玄米) devient un « riz blanc » (hakumai 白米).
-Lavage et cuisson
Le riz poli doit ensuite tremper (senmai 洗米) jusqu’à ce qu’il absorbe environ 30% de son poids en eau. Puis, le riz doit cuire à la vapeur (mushimai 蒸し米) pendant 1h environ.
-Fabrication du Koji
Il convient maintenant de passer à la fabrication du Koji (Seikiku 製麴) qui est une enzyme qui va permettre de fermenter le riz. Cette enzyme est obtenue à partir d’un champignon et une fois qu’elle est prête, on la dépose sur le riz cuit à la vapeur pendant environ 48h.
-Pré-ferment
Avant de passer à l’étape de la fermentation, il faut préparer un pré-ferment (mototsukuri 酛造り) appelé shubo 酒母 ou moto 酛. Ce dernier est obtenu en mélangeant du riz cuit à la vapeur, du koji, de l’eau, de la levure et de l’acide lactique. Le mélange doit reposer pendant environ 2 semaines à une température d’environ 30°.
-La fermentation
On peut maintenant passer à la fermentation, que l’on appelle shikomi 仕込. Elle se fait en trois étapes (sandan shikomi 三段仕込) sur 4 jours : 1ère étape : on verse dans une cuve 1/6e de la quantité totale de riz et de koji + intégralité du shubo ; 2e étape : le 3e jour, on ajoute 2/6e de la quantité totale de riz et de koji ; 3e étape : le 4e jour, on ajoute enfin les 3/6e restants.
La fermentation dure de 3 à 4 semaines, à une température comprise entre 8° et 18°. Une température plus basse (environ 12°) donne un saké à l’arôme fruité. Le produit qui ressort de la fermentation s’appelle le moromi 醪.
-Filtration
Il s’agit maintenant de filtrer le moromi (joso 上槽 ou assaku 圧搾) afin de séparer le saké de la lie (sake kasu 酒粕, lie = résidu de levures mortes à l’issue de la fermentation), puis on enlève la lie du mélange (kasu-hanashi 粕離し).
-Pasteurisation
Il faut maintenant laisser reposer le saké à basse température afin qu’il ne soit plus trouble. Une fois clair, le saké est pasteurisé (hi-ire 火入れ) à une température de 60-65° puis est mis en stockage afin de stériliser le Saké.
-Emballage et maturation
Afin de faire baisser la teneur en alcool du saké à environ 15%, de l’eau y est ajouté. Puis le saké est mis en bouteille (binzume 瓶詰) où il reposera pendant 6 à 12 mois (jukusei 熟成) pour compenser l’effet de la pasteurisation.
Voilà pour les différentes étapes de la production de saké. C’est beaucoup plus intéressant d’apprendre cela pendant la visite d’une brasserie, mais je souhaitais quand même vous en parler un peu (vous pouvez voir les différentes étapes dans la vidéo à la fin de l’article).
C’était vraiment une visite très intéressante, je suis contente d’avoir pu découvrir une ancienne fabrique, surtout quand on sait les liens qu’entretient la ville avec le saké... D’ailleurs, petite anecdote : bien que la fabrique Hômei soit très traditionnelle et ancienne, le maître brasseur produit également du saké qui fermente au son de la musique classique, censée améliorer ce processus de fermentation… Je ne sais pas si c’est vrai, mais c’est très amusant de se balader près des cuves au son de la musique classique…
A la fin de la visite, on a eu le droit de gouter quelques saké de la brasserie, c’était d’ailleurs la première fois pour moi que je goûtais réellement du saké japonais. En fait, je pensais en avoir goûté en France, mais c’était un alcool de riz super fort… ça m’avait un peu calmée et je pensais que le saké était trop fort pour moi… J’ai quand même goûté, à la fin de la visite, un saké qui était en fait de l’Umeshû 梅酒 (alcool de prune)… et comment vous dire que c’était juste délicieux ! Si vous avez déjà goûté de l’Umeshû vous savez ce que j’ai ressenti, sinon… foncez en goûter !
Les visites de cette ancienne brasserie de Saké se font uniquement en japonais donc si vous ne le parlez pas ce n’est peut-être pas recommandé pour vous… mais ne vous en faites pas, il y a des Brasseries de saké un peu partout au Japon donc renseignez-vous sur celles qui proposent des visites en anglais.
Même si cette visite m’a permis de découvrir le Saké, c’est vrai que depuis je n’ai pas trop osé en gouter d’autres… il faut dire qu’il y en a tellement… Comme j’aimerais quand même découvrir de nouveaux Saké, je pense que je vais me rendre cette année, à un événement qui a lieu tous les ans sur Paris : le Salon du Saké.
J’ai découvert l’existence de ce salon grâce à un article d’Olivier, du blog Japan Kudasai (il s’y connaît très bien et a écrit plusieurs articles sur le thème du Saké, donc foncez-y). Ça a l’air d’être l’endroit idéal pour découvrir et goûter plein de saké différents, venant de plein de régions du Japon, en plus les producteurs sont présents… bref ça me tente vraiment.
Mémo
S’y rendre ?
Pour se rendre à Tanba Sasayama :
La gare de Sasayamaguchi est située à 1h15 de la gare d’Ôsaka (JR Takarazuka line local) environ 1,140¥ l’aller.
Ensuite, la station de Sasayamaguchi est le point de départ des bus pour se rendre à différents endroits de la ville.
Horaire ?
-Tanba Tôji Brewery Museum : ouvert du lundi au vendredi de 10h à 17h; les samedi et dimanche de 10h à 16h. Fermé du 28 décembre au 4 janvier. 100¥
Une fois à Sasayamaguchi, prendre le bus (Shinki Green Bus) pour le Kasuga-jinja-mae et sortir à cet arrêt.
-Horoyoi Jokakura ほろ酔い城下蔵 (boutique de saké) : ouvert de 9h30-17h. Fermé les mardi.
Depuis Sasayamaguchi, prendre le bus pour l’arrêt Gofukumachi :
Vidéo de promotion du « Tanba Tôji »
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Il y a différentes façons de voyager…
Voyager, c’est découvrir un nouveau lieu, qui peut être situé aussi bien au bout du monde qu’à proximité. Il est en effet tout à fait possible de voyager dans sa ville ou sa région, afin de mieux la connaître.
Il est également possible de revivre ses voyages grâce aux carnets de voyage, de découvrir une nouvelle culture ou une autre époque en parcourant les allées d’un musée ou encore de voyager depuis son canapé grâce aux jeux vidéo…
Enfin, il est possible de voyager en parcourant les articles de notre blog 😊
Merci pour la découverte, la brasserie est vraiment chargée d’histoire, c’est génial !!! Je te confirme que le salon du saké est vraiment Le meilleur endroit pour prolonger l’expérience à Paris (quand on connaît un peu le saké), ou même pour le découvrir (quand on est curieux !). Moi aussi je suis fan d’umeshuuuuu !
J’avoue que quand j’ai visité la brasserie, je ne me rendais pas compte à quel point le saké était important pour la ville… ça me donne encore plus envie d’y retourner et d’aller au musée.
C’est clair que ça a vraiment l’air génial comme salon, il faut vraiment que j’y aille !
Hahaha, je me demande bien qui peut ne pas aimer l’umeshû… xD